Collaboration franco-japonaise, un premier projet autour de l’imagerie appliquée à l’étude de l’épithélium rétinien pigmentaire

Elena Gofas, chargée de recherche à l’Institut de la Vision (Paris), a été accueillie de juin à décembre 2024 dans le laboratoire du Dr Michiko Mandai, au Kobe City Eye Hospital (Japon). L’objectif : appliquer les outils d’imagerie développés par l’équipe française aux travaux de thérapie cellulaire de la DMLA du groupe japonais. Retour sur cette première collaboration de recherche concrète entre les deux instituts, qui échangent depuis des années.

Elena Gofas
Chargée de recherche dans l’équipe « Imagerie en direct : patients et cellules », dirigée par Kate Grieve - Institut de la Vision, Paris, France ©DR
Dr Michiko Mandai
Directrice du Centre de recherche de l’Hôpital ophtalmologique de la ville de Kobe, Japon ©DR
Fin 2022, Elena Gofas, physicienne de formation, et spécialiste de l’application de l’optique adaptative à l’imagerie de la rétine à une résolution cellulaire, participe à un séminaire scientifique franco japonais organisé à Kobe. Intitulé « Restauration de la vision : approches thérapeutiques émergentes », cet évènement conjoint est l’un des jalons d’une collaboration internationale en ophtalmologie qui dure depuis plus de 10 ans, et sur laquelle Guide-Vue.fr reviendra très prochainement. A cette occasion, la jeune chercheuse rencontre le Dr Michiko Mandai, du Kobe City Eye Hospital, et constate que leurs thématiques de recherche sont proches. En effet, les deux groupes s’intéressent à l’impact de la dégénérescence maculaire liée à l'âge et de la rétinite pigmentaire sur l'épithélium pigmentaire rétinien (EPR). Et tous deux ont des approches cliniques similaires, centrées sur les nouvelles thérapies cellulaires à base de cellules souches, et leur évaluation. « J'ai adoré cette expérience ! » se souvient Elena Gofas, « c’était passionnant professionnellement de visiter l'Institut et son hôpital qui est vraiment spectaculaire. Et puis de découvrir le Japon que je ne connaissais pas ».
Au départ, une envie d’ailleurs
La jeune chercheuse rentre en France avec la ferme volonté de repartir travailler quelques mois à Kobe. Au mois d’avril suivant, lors de la conférence annuelle de l’Association for Research in Vision and Ophtalmology (ARVO) 2023, Elena Gofas approche donc le Dr Mandai. Celle-ci est spécialiste des approches de thérapie cellulaire pour les maladies ophtalmologiques dégénératives. L'hôpital ophtalmologique de la ville de Kobe, où elle exerce, accueille ainsi l'un des seuls essais cliniques au monde portant sur la greffe d'EPR dérivé de cellules souches pluripotentes induites (iPSC) pour la DMLA humide. Les équipes du Dr Mandai et de ses collègues ont pu démontrer la sécurité et la faisabilité de cette thérapie ainsi que son potentiel d'efficacité à court terme. Cependant, le développement de ces thérapies s’accompagne de nombreux défis. L’un des plus importants a trait à la capacité à surveiller les
changements structurels et fonctionnels induits par ces traitements dans la rétine, au niveau cellulaire. Le Dr Mandai se montre ainsi très rapidement enthousiasmée par l’idée d’une collaboration : « Je suis très admirative du travail que réalisent Kate Grieve et
Elena Gofas sur l’imagerie. N’ayant pas d’ingénieurs dans notre laboratoire, l’approche d’Elena et les outils d’optique adaptative développés par son équipe avaient vraiment le potentiel d’être très utiles pour notre suivi des greffons ».

Séminaire franco-japonais organisé le jeudi 31 octobre 2024 au Kobe Eye Center © Yuka Amano
Bourse de la Matsumae International Foundation
Créée en 1979 par l’ingénieur Shigeyoshi Matsumae, la fondation est née de l’impérieux besoin d’éviter une guerre nucléaire. Elle permet à des chercheurs étrangers de mener des recherches scientifiques au Japon, dans l’objectif de contribuer au développement académique japonais et de construire des ponts amicaux entre leur pays et le Japon. Elle fournit chaque année à une quinzaine de candidats une allocation mensuelle pour une durée de six mois, permettant de couvrir leurs frais de recherche ainsi
que leurs frais personnels. Elle propose également un voyage d’étude à chaque promotion, afin d’améliorer leur connaissance du pays. ( mif-japan.org/en )
Comparer les phénotypes dans des ethnies différentes
Elena Gofas monte donc un projet de recherche visant à appliquer son expertise en imagerie multimodale haute résolution in vivo, et en développement d'algorithmes de traitement d'images, à la caractérisation de l'EPR sain et des changements cellulaires qui apparaissent dans la rétine malade, ainsi qu’après une thérapie cellulaire rétinienne. La jeune chercheuse est en cela épaulée par l’équipe de l’hôpital ophtalmologique de Kobe et Kiyoko Gocho, chercheuse ophtalmologiste qui partage son temps entre l’Institut de la Vision (Paris), le centre d’investigations cliniques de l'Hôpital National des 15-20 (Paris) et le Kobe Eye Center, où elle est ophtalmologiste invitée. Ce projet est pour Elena Gofas l’opportunité de « s’intéresser à des patients qui ont les mêmes types de pathologies que ceux avec lesquels je travaille à Paris, mais dans un fond génétique différent. Cela se traduit par des phénotypes, des symptômes, et même des sévérités différentes. Nous nous sommes par exemple aperçues que la forte myopie souvent présente chez les japonais rendait inopérant l’un de nos systèmes d’imagerie ». Pour le financer, le choix d’Elena Gofas se porte sur la bourse de la Matsumae International Foundation (voir encadré), dont le voyage d’études lui permettra de rencontrer les autres lauréats,
venus de Tanzanie, du Nigéria, de Syrie ou encore d’Argentine.

Remise du certificat et de la médaille commémorative par la fondation Matsumae à la fin des 6 mois de recherche au Japon
© Yuka Amano
Décrire la morphologie de l’EPR, à l’échelle cellulaire
Pour se mettre en capacité de tirer le meilleur de l’expertise d’Elena Gofas, l’hôpital de Kobe s’est équipé des mêmes instruments de pointe que ceux de l'Hôpital National des 15-20, sur lesquels la jeune chercheuse à l’habitude de travailler. Son travail sur place a consisté, grâce à ces outils d’optique adaptative, à imager l’EPR, cette couche cellulaire impliquée dans de nombreuses maladies
ophtalmologiques. L’objectif était de pouvoir caractériser, morphologiquement, l’EPR sain, l’EPR de patients atteints de rétinite pigmentaire, et celui de patients traités par thérapie cellulaire. Cette imagerie se fait en passant à travers la sclère, et permet de déterminer l’apparence de l’EPR à l’échelle de la cellule, en termes de régularité du pavement cellulaire, de taille des cellules, de couleur et donc d'intensité des pigments… Un pas significatif pour des équipes qui travaillaient jusqu’ici « avec la plupart des outils d'examen de routine tels que l'OCT et l'angiographie par fluorescence, qui permet de visualiser la zone endommagée de l'EPR, mais pas au niveau de la cellule. Ce n’est qu’après l’arrivée d’Elena que nous avons commencé à voir les cellules individuelles de l’EPR » souligne le Dr Mandai. Ces images permettent également de s’intéresser à la dynamique de la mélanine. En effet, « nous avons publié il y a un an avec ma collègue Kiyoko un article qui semble indiquer qu’il existe une dynamique pigmentaire chez les sujets sains.
Je cherchais donc à la caractériser et à la comparer avec les dynamiques pathologiques » explique Elena Gofas. La chercheuse se charge également d’écrire les codes de traitement des données collectées, en adéquation avec les objectifs de recherche du laboratoire. Elle est assistée dans sa tâche par l'étudiante en thèse qu'elle encadre, Julia Granier, qui vient passer deux mois dans
le laboratoire du Dr. Mandai. Sa mission : développer des algorithmes pour traiter les images à haute résolution de la rétine.

Photo de groupe du laboratoire du Dr Mandai (au centre avec le badge rouge) © Yuka Amano
Une collaboration amenée à perdurer, et à s’étendre ?
Si le séjour d’Elena Gofas au Japon est arrivé à son terme en décembre 2024, la collaboration est, elle, loin d’être terminée. En effet, la chercheuse a formé ses collègues japonais en thèse pour leur transmettre son savoir-faire en acquisition de données, afin qu’ils puissent continuer après son départ. « Je peux continuer à les épauler à distance pour la rédaction des codes d’analyse, mais avoir la compétence pour acquérir les données sur place est absolument essentiel » précise Elena Gofas. D’autant que, du fait de la nécessaire approbation gouvernementale des nouveaux outils pour la clinique, et de la durée limitée du projet, il ne lui aura malheureusement pas été possible d’imager des patients traités par thérapie cellulaire. Son travail a cependant permis d’acquérir un socle
d’informations cruciales sur la morphologie des EPR sain et pathologique. « Aujourd'hui, nous commençons à recevoir des images des patients transplantés, et nous allons les analyser en utilisant les méthodes transmises par Elena Gofas. Nous voulons continuer à collaborer à l'analyse de ces EPR transplantés pour voir notamment s’ils ont des caractéristiques similaires à celles des EPR sains, et comment ils évoluent dans le temps » renchérit le Dr Mandai. Les résultats obtenus seront présentés en conférence en avril 2025, et une publication est en cours de rédaction pour finaliser ce projet. Quant à la collaboration, elle pourrait tout à fait perdurer dans le temps. « Mon espoir est que ce tout premier projet de recherche entre nos deux institutions donne l’idée à des chercheurs de Kobe de venir travailler chez nous. Et que, finalement, mon envie d’aller au Japon a contribué ait renforcer encore les liens entre nos structures » sourit Elena Gofas.
Propos recueillis par Aline Aurias.
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